L’origine du Monde de Liv Stömquist


Culture Georgette / lundi, juin 15th, 2020

Une lecture de la georgette Morgane Frébault

Vous ne savez pas quoi faire aujourd’hui ? Georgette Sand vous emmène à la rencontre de L’origine du Monde, un roman graphique de Liv Stömquist publié en 2016 sous le signe noir de Rackam.

Tirant son nom du célèbre tableau de Gustave Courbet, il s’agit d’un recueil d’analyses et de réflexions sur la perception des organes féminins au long de l’Histoire et des civilisations. Liv Strömquist balaie les questions médicales, physiologiques et esthétiques à travers différents regards : celui la société occidentale  actuelle, du monde médical, de la communauté religieuse, de cultures ancestrales.

L’ouvrage relève le défi de traiter des questions sérieuses de façon experte avec un humour jamais potache. Il est aussi documenté qu’un article de Nature puisqu’il se réfère à plus d’une trentaine de sources aux origines variées (textes religieux, guides médicaux, code de justice…). L’autrice excelle dans l’art de pointer l’ironie des situations. Avec elle, nous prenons du recul sur ce sexisme ordinaire profondément enraciné dans la culture. La force des ressorts comiques de l’ouvrage nous donne l’énergie pour entrer en résistance en le refermant.

Liv Stömquist est née en 1978 en Suède, elle a commencé à transformer ses dessins en strips à l’âge de 8 ans. Aujourd’hui, elle est autrice de BD, journaliste et animatrice sur les ondes suédoises. Après avoir obtenu un diplôme en sciences politiques, elle s’est consacrée aux questions sociales ; en particulier à la condition de la femme, aux questions des pays en développement et aux politiques d’immigration. Elle a reçu plusieurs prix littéraires dont le prestigieux prix de la satire « Ankan » décerné par le magazine Expressen.

L’origine du monde  se divise en quatre chapitres. Le premier  tire le portrait “[des] hommes qui se sont un peu trop intéressés à ce qu’on appelle les organes féminins” et le second en fait une véritable description. S’en suit un chapitre piquant sur l’orgasme féminin. La dernière question examinée est celle des menstruations et couvre presque la moitié du livre.

Comme chien et chatte

Le début du roman graphique permet de contextualiser les oppositions historiques auxquelles ont fait face nos organes génitaux. Depuis des siècles les hommes ont organisé l’accès au savoir et au pouvoir en leur faveur, réduisant les femmes aux seconds rôles et parfois leurs corps à celui du cobaye. Le premier chapitre décline le top 5 des hommes s’étant un peu trop intéressés aux organes sexuels féminins.

Sur le podium on trouvera notamment J.H. Kellogs  et I. Baker-Brown fervents partisans du Votre femme/mère/fille a un problème ? La faute à son clitoris ! mais aussi St Augustin qui  lui voit plus large qu’eux et jette la bonne femme avec son clito. 

Car pour la petite histoire, Augustin arrête le sexe après en avoir bien profité pendant la jeunesse lorsqu’il a la révélation suivante : “sexe = traîtrise envers Dieu”. Il fait vœu de célibat ad vitam eternam mais plutôt que d’en profiter pépouze pour refaire la déco de son T1 à Thagaste,  il décide d’écrire sur le sexe et surtout sur celui de la femme qui est sale et pécheresse. Le sexe des femmes devient l’ennemi public numéro 1, pire que Voldemort.

Au tableau d’honneur on trouve également J. Money, professeur de psychologie adepte du genre binaire qui propage ses arguments  et convainc les départements chirurgicaux d’agir pour catégoriser des bébés en parfaite santé nés intersexes en dépit des risques pour leur vie ultérieure.

L’autrice n’oubliera pas dans son turpide inventaire les pros de la chasse aux sorcières, des profanateurs de tombe ou  bien encore G. Cuvier dont le hobby était le racisme scientifique. 

Un paysage englouti

Dans le chapitre suivant, l’autrice fait le détail du sexe féminin et pointe du doigt l’invisibilisation dont il est la victime. Car oui, en 2019 en France, à l’exception du Magnard aucun manuel de SVT niveau collège ne fait apparaitre correctement et entièrement le clitoris sur ses planches. C’est quand même une tare quand on sait que pour découvrir la forme d’un pénis, il suffit de s’assoir du côté de la carrosserie dans le bus, un passager s’étant chargé d’en faire le schéma au posca® avant votre montée à bord. Liv Strömquist nous fait un retour dans le passé et dissèque cette omerta culturelle en nous ramenant dans un temps où montrer sa vulve était une égale marque de bienveillance qu’envoyer une carte de vœux.

Dans notre société moderne l’invisibilisation du sexe féminin s’étend du langage qui lui est dédié à sa représentation. Les termes vulve et vagin sont souvent utilisés l’un pour l’autre, quand les mots lèvres, clitoris, glandes de Bartoli, la cyprine sont parfois inconnus au bataillon.

Or, le langage, c’est ce qui formalise la pensée et penser, c’est être — comme dirait Descartes. Il disait même que douter, c’est penser, mais là sans mot pour penser les choses, sans même de représentation de ces choses…  Pas moyen d’en douter ! Donc pas moyen de remettre en question les conventions établies — soyons en sûr.e.s — par des hommes. C’est là le cœur du problème ; combien de femmes hétéro se sont réveillées à 30 ans en se disant “Je ne sais même pas à quoi ressemble une vulve. Je pense même que mon mec le sait mieux que moi. Ça serait pas un problème quand même ?”. Le sexe des femmes est anatomiquement difficile d’accès pour celles qui souhaitent le voir et est de surcroit pas/peu représenté dans les manuels scolaires, les best-sellers médicaux (par exemple, le clitoris effacé du Gray’s anatomie par C.M. Goos en 1948 alors que les femmes venaient tout juste d’obtenir le droit de vote en France), les publicités, les tags, et même sur la représentation de la sonde spatiale Pioneer lancée dans l’espace par la Nasa en 1972.

Je ne pouvais pas vous parler de la vulve sans mentionner la marque de produits menstruels Nana® qui a enfin passé le cap en lançant sa campagne “Viva la Vulva” cette année. Les publicitaires ont utilisé divers objets du quotidien à la forme rappelant une vulve pour illustrer leur spot. Les pressions sur le CSA ne se sont pas fait attendre. Toujours intéressant de voir que le monde se lève à 4h pour voir – dès leur diffusion USA – les épisodes d’une série où l’on dépèce des humains – je répète – on dépèce des êtres humains. Mais une papaye à la place d’une vulve dans une pub pour les produits menstruels, ah ça non, trop c’est trop ! 

Make sex great again

C’est dans le troisième chapitre que l’autrice ridiculise quelques idées reçues sur le rapport des femmes à la sexualité – notamment l’éternel poncif “L’intimité et la tendresse, c’est déjà super !”. Elle décrit la place de l’orgasme féminin dans l’Histoire, tantôt recherché, tantôt négligé. Le chapitre ne saurait être complet sans un hommage à Herr Freud qui a sûrement fait autant de mal aux femmes que le code napoléonien.

Aujourd’hui comment aborder le cas du clitoris sans remercier Odile Fillod, chercheuse française ayant mis au point un modèle 3D téléchargeable et entièrement libre de droits. Réjouissons-nous pour nos nièces, filles, cousines collégiennes qui ont un.e prof de SVT et un.e infirmier. scolaire en ayant fait l’impression 3D et qui saura leur expliquer que Sigmund aurait mieux fait de regarder un replay de Masters of Sex quand il a pondu sa grosse théorie Orgasme Vaginal vs Orgasme Clitoridien car c’était en fait bonnet blanc et blanc bonnet. Pour toutes les autres, offrons-leur Connais-toi toi-même, guide d’autoexamen du sexe féminin.

Faut que ça saigne

Le dernier tiers du roman fait un point sur les superstitions liées au sang menstruel. Liv Stômquist explore le revirement du tabou des règles passant du “sacré” à la conception « dangereux/pas beau/berk ». Conception farouche allant de la crainte qu’elles fassent moisir les récoltes à l’impossibilité de faire entrer les femmes dans le monde du travail. Les possibilités sont infinies quand on est créatif.

Le Syndrome Pré-Menstruel est décrit et accompagné de la vulgarisation d’une étude menée dans les années 1970 sur la typologie des rêves faits par les femmes durant leur cycle. Ce chapitre remet en question le sentiment de honte associé aux règles. On peut y voir de jeunes femmes sur lesquelles la tache rouge vif contraste fièrement avec le dessin en noir et blanc. Les illustrations du roman ont d’ailleurs été réutilisées dans le métro de Stockholm lors d’une campagne soutenue par des féministes suédoises. L’exposition a fait polémique. Ce qu’entendait exactement dénoncer Liv Strômquist est qu’à notre époque ne pas avoir honte de ses règles est considéré comme provocateur. 

Bah oui, gardons quand même en tête que cela fait 40 ans qu’à la télé le sang menstruel a la même couleur que votre lessive. Pourtant, entre nous soit dit, ça vous paraîtrait pas plus inquiétant si votre tampon ressortait tout bleu ? L’invisibilisation tient également au fait que la société post-contraception a encore beaucoup à faire sur le sujet. Avant la démocratisation de la planification des naissances, les femmes avaient leurs règles quelques années à l’adolescence puis enchainant les grossesses jusqu’à la ménopause – ou jusqu’à ce que mort s’en suive – et ne les re-voyaient parfois jamais se pointer. Aujourd’hui les règles concernent toutes les femmes, aspirant ou non à une grossesse. En quelques chiffres les règles, c’est : 15,5 millions de femmes en France dont 40 000 concernées par la précarité menstruelle, 2200 à 3000 jours d’une vie, 1 adolescente africaine sur 10 qui ne va pas à l’école pendant ses règles, 23 500 euros de produits périodiques achetés en une vie. Georgette Sand s’attache à dissoudre la censure sur les règles lors de ses ateliers ou à la rencontre des festivaliers sur ses stands Changeons Les Règles. Rappelons qu’en 2015, la campagne Sang Tabou d’Osez le féminisme avait été interdite par la municipalité de Montbéliard.

En somme, L’origine du Monde est un roman que tout le monde devrait avoir dans sa bibliothèque ! Traitant de sujets cruciaux de façon percutante et avec tout à la fois humour, références et esthétisme. Merci pour cette perle qui permet à celles et ceux qui n’ont pas le temps de lire des essais de se sentir aussi bien informés.