L’écriture inclusive est remise sous le feu des projecteurs par des politiques en manque de visibilité. Il est désespérant d’assister une nouvelle fois au spectacle de ses pourfendeur∙euses qui, épée à la main, se positionnent en défenseur∙euses de la langue française, alors qu’iels l’emballent dans la naphtaline pour imposer leur vision du monde.
Petit retour en arrière sur la masculinisation de la langue mise à l’œuvre par ces militants et ces militantes depuis le XVIIe siècle. La parole est liée au pouvoir et le pouvoir a largement été détenu par les hommes. Alors que nous disposions au Moyen Âge de collections lexicales et grammaticales permettant d’exprimer équitablement le féminin et le masculin, des arguments idéologiques ont enclenché la masculinisation de la langue. La naissance de l’Académie Française finira de dérouler le tapis rouge à la décrédibilisation du féminin : “Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif”1. Adieu autrice et philosophesse. C’est marrant, on ne touche pas à boulangère.
Une hégémonie qui conditionne notre vision du monde
Le lexique et la grammaire conditionnent la variété des images par lesquelles chacun∙e peut se représenter le monde : c’est ce que confirment de nombreuses études psycholinguistiques2. Pour compenser l’incapacité de la langue à générer des représentations suffisamment variées, des mécanismes de réappropriation voient le jour, proposant des formes d’écritures plus égalitaires. Celles-ci interpellent notre manière de penser et d’envisager les rôles et les métiers. L’écriture inclusive, par sa simple existence, nous invite à réfléchir sur les normes implicites et discriminantes que la langue perpétue.
Certain·es soutiennent que l’usage du masculin – à prétention neutre- est suffisant. Eliane Viennot contredit cet argument dans son ouvrage au titre provocateur En finir avec l’homme, en décrivant comment l’extension sémantique signifiant « mâle adulte humain » à celle de « tout être humain » a été permise par un contexte historique où « l’idée qu’une femme pourrait être un Homme »3 était un impensé.
D’autres affirment qu’il est nécessaire de maintenir le système en place pour des raisons grammaticales ou syntaxiques. Cependant, cet argument ne tient pas face à la réalité des usages dans les pays de la francophonie. Au Québec, le féminisme agissant, les titres et métiers au féminin ont connu un essor dès les années 1970. Par ailleurs l’accord de proximité était encore en vigueur dans les écoles françaises jusqu’en 1930, quoique limités aux inanimés. Ils étaient acceptés dans la dictée du Brevet des collèges 4.
C’est l’usage qui modèle le langage.
La langue, en tant qu’espace public culturel, est le reflet de nos valeurs et de notre vision du monde. Ignorer les enjeux de genre dans notre langue, c’est perpétuer volontairement l’invisibilité des femmes, des personnes non-binaires ou intersexes. Le recours systématique au masculin pour représenter tout le monde ne rend pas compte de réalités biologiques et sociales qui ne sont pas binaires et qui ne sont représentées, ni dans la langue, ni dans la loi. Le langage inclusif est un outil indispensable que les personnes non-binaires et intersexes contribuent à créer (Swamy & McKenzie 2022) pour se reconnaître, exister, se représenter et représenter leurs droits.
La langue n’est pas figée, elle évolue avec notre société. Elle se débrouille toute seule et ne saurait se soumettre à quelque législation. Elle appartient à celles et ceux qui la parlent et l’écrivent. L’écriture inclusive n’est pas une contrainte. C’est une invitation à la réflexion et au changement.
Macron, utilisateur de l’écriture inclusive qui s’ignore
Pour écrire égalitaire, il existe de nombreuses possibilités, et le point médian n’est que l’une d’entre elles. Cela a souvent été répété et il faut être démagogique et caricatural pour ne pas l’avoir retenu : le point médian n’est que le signe graphique permettant l’abréviation des doublets et n’a pas davantage vocation à être oralisé qu’une virgule.
Le langage inclusif est multiple et vous pourriez réaliser, tel Monsieur Jourdain, que vous en usez sans le savoir. Mots épicènes (élèves, parents, lectorat), doublets (Mesdames et Messieurs), néologismes (autrice, mairesse, iel), voilà du langage inclusif ! Vous en voulez encore ? Alternance du genre qui représente le neutre (le masculin a une prétention au neutre, pourquoi pas le féminin ?), point médian ou accord de proximité (que l’on peut retrouver dans les écrits de Racine, c’est donc bien du français !).
L’État lui-même pratique le langage inclusif avec les « e » entre parenthèses sur de nombreux documents officiels, ou, lorsque le Président utilise les doublets dans ses adresses au peuple “Français, Françaises”. Mais d’ailleurs, si le masculin fait neutre, pourquoi ajouter « Françaises » ? On serait en droit de se demander si c’est le langage inclusif que l’État souhaite mettre au pilori ou bien le vent de réappropriation de cet espace culturel. Notre langue serait-elle le pré carré d’un groupe social ?
Redonner de la visibilité aux minorités
Alors oui, c’est plus long d’écrire “collaborateurs et collaboratrices”, “directeurs et directrices”, comme lorsqu’il s’agit d’ajouter le deuxième patronyme sur la fiche de paie de la collègue ou sur le compte en banque de la cliente. Mais par un drôle de hasard, ces bouderies fainéantes se font surtout sentir lorsqu’il faut redonner de la visibilité aux minorités.
Il est temps d’en finir avec cette rigidité prétendument rationnelle. Non, la langue française n’est pas en danger. Beaucoup d’intervenant∙es mal informé∙es s’expriment publiquement, ignorant les apports de militantEs engagéEs et productivEs (oui, on a accordé à la majorité, car la majorité sont des militantEs) ; pour ne citer qu’elleux : Eliane Viennot, Typhaine D, Alpheratz, ou la collective bye bye binary.
Ecrire aussi au féminin n’est pas une coquetterie, c’est représenter dans un français correct plus ou moins la moitié de l’humanité. Non, nous ne devrions pas avoir à écrire au masculin pour être prises au sérieux.
Sources
1 Liberté de la langue française dans sa pureté, Scipion Dupleix, Paris, 1651, p. 696
2 A Language Index of Grammatical Gender Dimensions to Study the Impact of Grammatical Gender on the Way We Perceive Women and Men, Gygax, Elmiger, Zufferey, Garnham, Sczesny, Stockhausen, Friederike Braun, Jane Oakhill
Impact de la féminisation lexicale des professions sur l’auto-efficacité des élèves: Une remise en cause de l’universalisme masculin? Chatard, A., Guimond, S., & Martinot, D. (2005)
The masculine form in grammatically gendered languages and its multiple interpretations: a challenge for our cognitive system Pascal Gygax , Sayaka Sato , Anton Öttl, Ute Gabriel
3 Eliane Viennot, En finir avec l’Homme (2021)
4 Eliane Viennot, Pour un langage non sexiste, elianeviennot.fr
Affiliations
Alpheratz 2018, Grammaire du français inclusif, Châteauroux, Vent Solars
Bye Bye Binary (collective)
D. Typhaine
Gygax, Pascal, Mark, Zufferey, Sandrine, Gabriel, Ute, Le Cerveau pense-t-il au masculin ? Cerveau, langage et représentations sexistes, Paris, Le Robert, « Temps de parole », 2021.
Swamy Vinay & Mackenzie Louisa (dir.) 2022, « Devenir non-binaire en français contemporain », Paris, Editions Le Manuscrit, coll. Genre(s) et création.
Viennot Eliane