Par Ophélie Latil

Je lisais cet article Slimani – Mouawad, le sexisme déconfiné, par Hélène Pierson, qui correspond avec justesse à mon ressenti face à cette évidente différence de traitement de deux confinements, par deux écrivains, qui m’a gênée aux débuts du Confinement.

L’un est porté aux nues, l’autre est impitoyablement dénoncé pour son lyrisme déconnecté socialement, pourtant bien plus mesuré que l’autre, et révélerait cette odieuse démonstration des privilèges de classe. Le fait est que deux choses me dérangeaient et que l’article pointe bien :

Dénoncer Leila Slimani est un luxe de lettré. Appelez cela comme vous voulez mais déjà, en nous fendant de petites blagues, nous indiquons faire partie du même monde. Avec du recul bien sûr parce qu’on est tellement plus chics / pas assez cyniques pour le mettre en avant (par respect je suppose pour ce prolétariat qu’on aime bien faire bosser le dimanche, qui nous livrent des sushis en semaine à nous, pauvres confinés urbains, mais qu’il faut défendre de derrière sa fenêtre twitter en gobant en cachette ses sashimis). Avec moins de moyens, de notoriété, dans des appartements plus petits et confinés, et pour certain.es, avec de vraies difficultés.

Ajoutons un zeste de racisme : comment ça, être d’origine marocaine et ne pas vivre un confinement abominable, ne pas être caissière, sans activité car ne pouvant plus faire le ménage ? Les femmes immigrées n’attirent l’intérêt que par la pitié qu’elles généreraient (de loin bien sûr). Pour Leila Slimani, ne pas être la porte-parole des femmes immigrées pauvres en fait une traîtresse à sa « communauté » forcément cantonnée socialement, car comme dit Beauvoir, les femmes privilégient leur conscience de classe à la consicence de leur sexe. Et bien pour rappel, chez les femmes racisées aussi il ya une grande diversité de vies, d’éducations, de chances, de parcours. Allez voir ailleurs pour l’essentialisation de « LA » femme.

Revenons à notre mouton lettré : il y a une forme de snobisme dans le fait d’attaquer ceux et surtout celles qui semblent plus confortablement installés dans leur chez eux, leur solitude tranquille perçue comme un odieux privilège, pour qui la vie semble (sur la toile) tellement plus simple. Les gens de mon entourage que j’ai vu se gausser ou fustiger sont souvent propriétaires, hyper diplômés, certains se sont déplacés au vert au début de l’épidémie. Ils râlent pour se distancier, mus par un zèle idéologique mâtiné d’envie, de cette notoriété qui est celle de Slimani, qu’on a le droit d’aimer ou pas, mais ce n’est pas ça le fonds du problème n’est-ce pas ?

Elle reçoit les honneurs du Monde, fait de ces jolis textes contemplatifs tels ceux qui nous sont venus d’Italie et parlaient de l’instant présent et du temps qui passe.

Mais le fait est qu’en matière d’accusation d’être un odieux bourgeois, étrangement ce sont toujours les femmes que l’on accuse de ne pas être suffisamment parfaites, suffisamment multiples, suffisamment sociales, à la fois au four et au moulin, ayant le temps tout en le donnant sans compter, ayant les mots, la conscience lucide, la maîtrise des enjeux macros et micros tout en faisant tourner les caisses de Franprix et les lits à l’hôpital public.

De manière générale, on ne dénonce pas le confort bourgeois de Victor Hugo mais bien celui de George Sand, discréditée d’avoir une demeure, la richarde. Pourtant, les deux furent exilés, l’un à Guernesey, l’autre à Nohant. Les deux furent mis à l’index. Ne reste dans le Récit qu’un auteur engagé, l’autre, l’autrice, a fui et vécu dans le confort bourgeois de sa maison de famille et son exil est transformé en retraite paisible. Lisez George Sand à Nohant, de Michelle Perrot, le mythe sera vite cassé.

Puisqu’on parle de bourgeois, qui a ce mot rapide à la bouche ? Des militantes et militants qui se taisent sur les conditions de vie de Karl Marx , l’exil luxueux de Lénine en Europe, mais on s’offusque des prétentions bourgeoises de Flora Tristan qui aspire toute sa vie à une vie meilleure, cette traîtresse qui ose déplorer son déclassement.

Et comme personne n’y échappe, je ne suis pas meilleure, à moquer Brigitte Macron qui abandonne en confinement le service à la française pour le service à l’assiette, au lieu de moquer la thaumarturgie nouvelle de son royal époux. Bref, en plein confinement, c’est jolie histoire à méditer sur une différence de traitement.