Les filles, grandes oubliées du dépistage de l’autisme


Analyse, Nos actions / jeudi, avril 2nd, 2020

Par Aurore Merchez

Le 2 avril est la journée de sensibilisation à l’autisme. Ce trouble mystérieux qui véhicule beaucoup de (faux) clichés dans l’imaginaire collectif est pourtant, à y regarder de plus près, lui aussi victime du sexisme ordinaire. Explications.

Avant toute chose, un rappel utile de ce qu’est et n’est pas l’autisme :

On parle aujourd’hui plutôt de trouble du spectre autistique (TSA), regroupant toutes les formes d’autisme, y compris le syndrome d’Asperger longtemps mis de côté car considéré « de haut niveau ». On assemble désormais plutôt que de diviser.

L’autisme n’est pas une maladie, c’est un trouble neuro-développemental. Donc on n’en guérit pas. Donc on ne le transmet pas, on ne l’attrape pas. Les vaccins ne le provoquent pas (ce serait plutôt une comorbidité mais là n’est pas le sujet). L’autisme, on naît avec, on meut avec. Entre deux on vit. Ou plutôt on s’adapte. Mais là encore, ce n’est pas le sujet de cet article.

On compte en France 700 000 personnes autistes. Dans le 3ème plan autisme (2018-2022), le gouvernement préconise un meilleur dépistage de ce trouble. Et c’est là le cœur du sujet : c’est quoi un meilleur dépistage ? Pour qui ? On dépiste un trouble qu’on ne connait pas, pour proposer des solutions que l’on a pas, avec un personnel déjà au maximum de ses capacités. Aujourd’hui, dans un CRA (centre de ressources autisme – il en existe dans chaque région), un adulte attend en moyenne 18 mois pour recevoir un rendez-vous. Pourquoi un adulte ? Parce que, spoiler, l’enfant autiste devient adulte (souvenez-vous, ça ne disparaît pas par magie avec l’âge). Et que parfois, l’autisme n’est pas dépisté dans l’enfance. Parce qu’il s’adapte trop bien. IL ne comprend pas ce qu’il fait, ni pourquoi il le fait. Mais il le fait. Du coup, il devient invisible. Et il n’est pas diagnostiqué. Parmi ces adultes qui passent entre les mailles du filet, principalement des filles. Beaucoup (trop) de filles.

Sur le site de l’INSERM, on peut lire :

« Si les garçons sont plus souvent atteints d’autisme que les filles, ce chiffre très souvent cité doit être relativisé. En effet les outils de détection et d’évaluation de ce trouble ont été essentiellement validés sur des populations de garçons, avec le risque d’occultation de signes propres aux filles. Une méta-analyse récente évoque plutôt un rapport de trois garçons pour une fille, rapport qui pourrait encore évoluer avec les progrès de la détection. »

Une aberration. Non, les garçons ne sont pas plus atteints. C’est écrit après, les outils sont élaborés en fonction d’eux. Donc, les garçons ne sont pas plus atteints, ils sont mieux diagnostiqués. Les mots ont leur importance.

Alors comment dépister mieux (ou plus selon de quel point de vue on étudie la question) ? On lit les études américaines. Et on constate que des personnes comme Temple Gardin ou plus spécialement Rudy Simone exposent ce problème. De ses études sur la question féminine du diagnostic, Rudy Simone a réalisé un tableau très complet des différences de manifestations des signes. Une édifiante étude montrant à quel point, même en situation de handicap, les femmes sont soumises aux injonctions de la société.

Du point de vue de la communication d’abord, principale déficience du TSA. Une fille, ça sourit, ça aime les bisous et les câlins. C’est poli. Ca ne dit pas de vilaines choses. Sauf que… Parfois, la barbe de tonton Edgar, elle gratte. Au point de provoquer une crise d’angoisse chez la petite fille qui ne le supporte pas. A l’intérieur, son cerveau refuse le contact humain, refuse la texture de peau de la personne à embrasser. A l’extérieur, il est temps qu’elle arrête son caprice. Si un homme ne fait pas la bise ou ne serre pas la main, rien à redire. Si c’est une fille, les parents devraient revoir son éducation.

On passe maintenant au sujet préféré de la gente féminine : la mode, et le célèbre « il faut souffrir pour être belle ». Si cette injonction paraît déjà stupide appliquée à une neurotypique, que penser d’une autiste qui préfère porter des vêtements dans lesquels elle se sentira bien, car ne supportant pas certaines matières, certaines couleurs, qui peuvent là aussi provoquer des réactions neuronales importantes ? Sauf si elle en fait son intérêt spécifique.

Ce qui nous amène au point le plus discriminatoire : les intérêts spécifiques. Dans l’inconscient collectif, l’autiste n’a que deux rôles : le débile ou le génie (pardon pour ces mots, mais ce sont ceux que j’entends, malheureusement le plus). Le débile, celui qui ne parle pas et se roule pas terre, quand il ne se tape pas la tête contre les murs. Parce qu’évidemment, personne ne peut imaginer la souffrance profonde derrière ces gestes, ni qu’il y a eu un élément déclencheur à cette crise (lumière, bruit, matière…). Ou le génie, reconnu ou supposé : Einstein, Beethoven, Zucherberg. Des hommes forcément. Les choses commencent à bouger avec Greta Thunberg ? (Re)Lisez la presse…

Revenons aux intérêts spécifiques et aux tests. Une partie de l’entretien d’évaluation est liée à cette question. Et là, expérience vécue, plus véridique tu meurs : « votre fille s’intéresse-t-elle à des choses insolites comme les hélices d’un hélicoptère ? Est-elle passionnée par la science, les planètes, le système solaire ? » Non, les plans de métro et autres clichés, ce n’est pas son truc. Par contre, celle-ci connaît 50 races équines et leurs spécificités. Mais les petites filles aiment les animaux, c’est bien connu. Ca ne fait pas d’elle une autiste. Celle-ci, bonne élève et en théorie disciplinée, s’est mise à dos ses profs d’histoire à force de corriger les manuels en rappelant le rôle de femmes éminentes qui n’apparaissent pas dans l’histoire officielle. Excès de zèle pour se faire remarquer. Alors, cliché, cette demoiselle qui monte et démonte les moteurs, connaissant mieux que son frère le nom de chaque pièce, leurs dimensions et leurs rôles. Il va falloir lui trouver une occupation plus féminine. Et elles passeront à côté d’un diagnostic pourtant nécessaire pour progresser.

Et ces enfants, deviendront des adolescentes, puis des adultes. Pour ne pas se faire remarquer, elles s’adapteront encore et toujours à un monde qu’elles ne comprennent pas. Elles appliqueront des codes qu’elles n’ont pas, par mimétisme. Elles se fatigueront à comprendre des gens qui refusent obstinément de voir et comprendre leur différence. Elles s’épuiseront. Feront un burn-out. Ou pire…

Bien sûr, il n’existe pas de chiffres précis, hormis le fameux « 1 filles pour 4 garçons ». Elles passeront entre les mailles du diagnostic parce que même si tout le monde s’accorde à dire que les tests ne sont pas adaptés, ces derniers ne sont toujours pas revus. Et cela fait plus d’une décennie que ça dure. C’est ça, l’égalité que l’on veut défendre ? Des centaines, des milliers de femmes en errance pour un monde médical qui leur refuse l’équité au prétexte qu’il s’agit d’une extrême minorité ? Il y a urgence à entrer dans le XXIème siècle. A respecter les engagements pris par la charte européenne de l’autisme : « LE DROIT pour les personnes autistes à un diagnostic et à une évaluation clinique précise, accessible et sans parti pris. » Il est temps de prendre ses responsabilités et de sortir les femmes autistes de l’ombre. 

Aurore Merchez, pour Georgette Sand