Sexiste, le père Noël ?


Non classé / mercredi, décembre 18th, 2019

En cette période de Noël où vous devez redoubler d’imagination pour trouver le cadeau idéal pour votre enfant, votre filleule, votre petit-neveu … comptez sur certains catalogues et magasins de jouets pour vous dérouler le tapis rouge des stéréotypes de genre. Grâce à eux aucune chance de se tromper et d’acheter par inadvertance une trottinette rose à un petit garçon ou un ballon de foot à une petite fille. La séparation des des univers filles/garçons est méticuleusement mise en scène. La nature des jouets, les éléments de marketing : pages distinctes dans les catalogues, rayons séparés dans les magasins, ou bien d’autres indices de cloisonnement comme les représentations d’enfants utilisant les jouets ou encore l’utilisation de codes couleurs (les traditionnels “bleu pour les garçons” et “rose pour les filles”).

Photo : The pink and the blue project –  Jeongmeeyoon http://www.jeongmeeyoon.com/aw_pinkblue.htm

L’argument de vente généralement mis en avant est que ces jouets reflètent le monde des adultes. On est alors en droit de s’étonner que les avancées sur l’égalité femme-homme de ces dernières années n’aient pas encore percolé jusqu’au monde du jouet. Il est rare par exemple de trouver des panoplies de petit docteur à destination des filles alors qu’aujourd’hui en France 47,4% des médecins en activité régulière sont des femmes. A contrario, le déguisement d’infirmière est généralement uniquement destiné au sexe féminin (c’est sans mentionner la longueur des robes ou des jupes qui contribue à l’hypersexualisation des petites filles). En se voulant représentatifs de la vie adulte les jouets et les déguisements deviennent des reproducteurs de tous les stéréotypes genrés. Les jouets pour garçons se basent généralement sur la recherche d’aventure, le dépassement de soi et l’esprit de compétition, l’ouverture sur l’extérieur, les sciences et la curiosité intellectuelle. Les filles, elles, restent plutôt cantonnées au mignon et à l’adorable : on leur fournit tous les gadgets nécessaires pour apprendre à soigner leur apparence, et on cultive la croyance ancestrale de leurs penchants pour les tâches d’intérieur et le soin des enfants. 

C’est donc dès l’enfance qu’on nous encourage à bien définir comment doivent être une fille et un garçon. Pour progressivement apprendre à devenir un homme ou une femme adulte disposant de toutes les caractéristiques et comportements que notre société a strictement associé au masculin ou au féminin. Depuis des années les jouets genrés permettent de développer de manière ludique, et en apparence complètement inoffensive, des schémas de pensée totalement stéréotypés, faisant des enfants les premiers instruments des inégalités femmes-hommes. Bien qu’il n’est pas été prouvé qu’un zizi soit nécessaire pour jouer aux petites voitures ou construire des maquettes de châteaux forts, certains semblent encore penser que le sexe définit ce qu’on peut ou ne peut pas faire. Finalement, ces clichés symboliques sont pénalisants pour tous : ils contribuent à formater les individus sur des comportements genrés considérés comme innés en les éloignant peut-être de leurs goûts naturels. Ce cloisonnement très marqué cultive l’intolérance de l’autre, ou en tous cas de l’autre sexe, dès le plus jeune âge.

Une prise de conscience qui monte en puissance

Mona Zegaï, doctorante en sociologie et spécialiste du genre et des jouets pour enfants, travaille depuis plusieurs années sur le sujet et a montré que, contrairement à une idée reçue, la différenciation aussi marquée des univers garçons/filles dans les catalogues de jouets date du début des années 90. Dans son étude “La mise en scène de la différence des sexes dans les jouets et leurs espaces de commercialisation” de 2010 elle traduit en chiffres les clivages de genres mis en scène dans le monde du jouet. 

Depuis une dizaine d’années, et notamment grâce à ces travaux de recherche, en France s’opère une certaine prise de conscience. A titre d’exemple, Astrid Leray, créatrice de la société de conseil et de formation sur les questions d’égalité femmes-hommes TREZEGO publiait en 2014 le rapport “Stéréotypes et jouets pour enfants : la situation dans les catalogues de Noël” . Elle conclut qu’en “mettant en scène un univers extrêmement genré et stéréotypé, les spécialistes du jouet sont un des rouages de l’intériorisation des inégalités femmes-hommes.” 

En juin 2018, la délégation aux Droits des femmes de l’Assemblée nationale a publié un rapport d’information intitulé “Femmes et Sciences : l’urgence d’actions pour l’égalité réelle” (dont les rapporteurs sont les députés Céline Calvez et Stéphane Viry). Fort de l’audition de 32 personnes et d’une consultation citoyenne, le rapport propose plusieurs recommandations, dont l’action prioritaire dans l’enseignement et l’éducation “au niveau de l’égalité entre filles et garçons, entre les femmes et les hommes, et de l’orientation”. En 2019, dans la lignée de ce rapport le gouvernement Macron crée le Conseil de la mixité et de l’Égalité professionnelle dans l’industrie qui agit sous l’égide du Ministère de l’Economie et des Finances et pour le compte du Conseil National de l’Industrie. Le premier axe de travail du Conseil a pour ambition d’attirer plus de femmes vers les métiers scientifiques et de lutter contre les stéréotypes qui les visent dès l’enfance et les détournent souvent des vocations scientifiques. 

Le message est clair, la société a tout à gagner à ce que les femmes s’investissent massivement dans les sciences et il n’est plus question de les brider dès le plus jeune âge.

Charte pour une représentation mixte des jouets

Dès juin 2019, les principaux acteurs de la filière du jouet se sont rassemblés et ont dressé un bilan de la situation. Les divers échanges ont permis d’aboutir à la co-construction et la signature, le 24 septembre 2019, à trois mois de Noël, de la Charte pour une représentation mixte des jouets par 14 acteurs du monde du jouet. La charte déroule les 34 engagements volontaires des fabricants de jouets, des distributeurs de jouets, de l’Union des marques, des associations (Elles bougent, Familles de France, Femmes & Sciences, Le Jeu pour tous, Pépite sexiste et Women in Toys), du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et des acteurs publics, et précise le planning et les points d’étape qui permettront l’évaluation de ces engagements. L’objectif commun annoncé est clair : faire de la mixité et de l’égalité les maîtres-mots de toute la chaîne du jouet, de la conception et la fabrication jusqu’à la publicité et le conseil à l’achat des parents.

Conception et fabrication

Parmi les engagements adoptés concernant l’étape de fabrication, il s’agit “simplement” de concevoir des jouets ne véhiculant pas de stéréotypes de genre et de promouvoir des conditionnements neutres ou mixtes. Dans l’univers du déguisement par exemple, cela doit se traduire par le développement de plus de références aux sujets domestiques et aux soins pour les garçons et à la technique et à la technologie pour les filles. La charte vise aussi à promouvoir les jeux scientifiques pour tous et le développement intellectuel des plus petits. Les fabricants de jouets annoncent la création d’un label “Sciences, Technologie, Ingénierie, Maths” (STIM) que les marques pourront apposer à leurs jouets.

Photo by Vanessa Bucceri on Unsplash

Publicité

En termes de communication et de publicité, fabricants et distributeurs s’engagent à supprimer les catégorisations jouets filles/garçons dans les conditionnements, les visuels et les catalogues pour tendre vers une présentation en fonction de l’âge et des bienfaits du jeu pour l’enfant. Certaines marques n’ont pas attendu la charte et sont déjà très bonnes élèves à ce niveau-là (cf notre TOP 5 à la fin de l’article !). Tous s’engagent à respecter les recommandations de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) sur la mixité homme/femme dans la publicité. Les concepteurs et fabricants de jouets promettent aussi d’évaluer leurs campagnes marketing pour vérifier le respect de l’ensemble de ces recommandations. L’audit restant toutefois interne aux différentes entités, la transparence, l’exhaustivité et l’objectivité ne sont pas garanties. 

Le lien est fait avec la “charte d’engagements volontaires pour la lutte contre les stéréotypes sexuels, sexistes et sexués dans la publicité” signée le 6 mars 2018 par le CSA et l’Union des marques avait déjà signé, en présence de l’ARPP.

En magasin

Dans les magasins tout comme dans la publicité, les distributeurs s’engagent à repenser l’organisation de la présentation des jouets : par catégorie de jouets, d’âges, de bienfaits apportés à l’enfant. L’objectif est d’en finir avec les grandes allées bleues et roses devant lesquelles les enfants se divisent instinctivement tels des zombies. Un autre axe d’amélioration est la sensibilisation des vendeurs et vendeuses aux stéréotypes de genre en leur apprenant par exemple à aborder les clients en se référant à l’âge et aux goûts de l’enfant et non plus à son sexe. Cet effort de formation est soutenu par les associations qui s’engagent à élaborer un support audiovisuel à destination des magasins. 

Pour finir, puisque l’effort est collectif, tous s’engagent à contribuer à la co-construction d’un guide des bonnes pratiques en matière de mixité des jouets à destination des acheteurs et des responsables grands comptes.

Prix et récompenses :

Comme une charte n‘est jamais qu’une sorte de code de bonne conduite, visant à définir des objectifs et des moyens communs, mais sans valeur juridique en soi, il faut entretenir la motivation des signataires et les encourager via des récompenses (la carotte anti-sexisme). Deux prix spéciaux sont ainsi en projet de création :

  • Un « Prix du jouet qui lutte contre les stéréotypes genrés » dans le cadre des « Etoiles du Jouet » organisées par la FJP ;
  • Un prix spécial qui récompense la meilleure campagne ou initiative favorisant la représentation mixte des jouets qui sera décerné par l’Union des marques.

Calendrier

Niveau planning, si tous les engagements et les délais sont effectivement respectés, il semblerait qu’on en ait fini avec les stéréotypes de genre dans les jouets dès Noël 2020.

  • Dès début 2020 : Et oui pour Noël 2019, c’est en partie râpé ! Les acteurs s’engagent à mettre en œuvre toutes ces mesures dès la signature de la charte, à l’exception de celles qui concernent les catalogues de distributeurs et la présentation des jouets en magasin qui ne seront mises en place qu’à partir de 2020. 
  • Avant mars 2020 : les signataires se sont laissés 6 mois pour élaborer le guide de bonnes pratiques à destination des acheteurs et des responsables grands comptes. 
  • Mars 2020 : le point d’étape des 6 mois sera également l’occasion de réaliser un bilan commun du déploiement de la charte.
  • Juin 2020 : Les associations doivent mettre à disposition des enseignes du monde du jouet un support audiovisuel de sensibilisation des vendeurs.
  • Janvier 2021 : 15 mois après la signature de la charte, la FCPJ s’engage à interroger ses adhérents et à réaliser un compte-rendu de déploiement de la charte.

Photo 6 (Photo by Hulki Okan Tabak on Unsplash)

Conclusion 

Cette charte est un premier pas vers la déconstruction des stéréotypes de genre cultivés dès le plus jeune âge. Nous suivrons avec attention les prochains points d’étapes et la création des trophées promis. On attendant, nous avons décidé de faire notre propre remise de prix pour récompenser les quelques marques qui d’ores-et-déjà s’appliquent à proposer des visuels et des objets non genrés. Voici notre TOP 5 :

– Tim et Lou : un garçon et une fille qui se transforment tour à tour en cuisinier et cuisinière, en marchand.e, et jouent à faire le ménage et à bricoler. Quelle que soit l’activité, Tim et Lou sont tous les deux représentés permettant à tous les enfants de s’identifier.

– Plantoys : en plus d’être totalement écolo cette marque développe de beaux jouets en bois, dans de nombreux thèmes comme la construction, la musique, la cuisine, les jeux d’éveil pour tous petits. Visuellement  très neutres, sans marqueur de genre, ces jouets ne se posent définitivement pas la question du genre.

– Kapla : parce que les choses simples sont souvent les meilleures, Kapla figure bien sûr dans ce classement. Des planchettes en bois d’une couleur neutre, celle du pin des Landes, permettant à chaque enfant de développer sa créativité et ses capacités.

– Bioviva : entreprise créatrice de jeux française, Bioviva propose des jeux éducatifs et amusants, avec comme thème de fond le respect de la Nature, qui s’adressent à tous les enfants sans distinction de genre.

– The Moon Project : avec cette marque on s’attaque à tous les stéréotypes et ça fait du bien ! Leur mission : ”permettre aux enfants de grandir l’esprit libre, sans idées préconçues” et visibiliser les “grandes femmes, trop souvent absentes de l’Histoire”.  Le jeu “Mémo Métier” associe chaque métier aussi bien aux femmes qu’aux hommes : un docteur et une docteure, un danseur et une danseuse, ou encore un policier et une policière.

Grâce à elles et à la vigilance de tout.es ce ne seront plus les jouets qui apprendront à nos enfants ce que doit être une fille et ce que doit être un garçon mais nos enfants qui apprendront à aimer être ceux qu’ils sont, en tenant compte de leurs goûts et centres d’intérêts. Le jouet est bien au cœur de la stratégie d’éducation pour l’égalité femme-homme.

Marion Germanaz